Régénération de la Citadelle d'Agadir Oufella, Agadir MAROC (2017-22)
CONTEXTE HISTORIQUE
Située sur un promontoire impressionnant surplombant une baie sur l'Atlantique, propice au commerce international, la forteresse d'Agadir incarne depuis plus de six siècles, l'importance de ce port où convergeaient les grandes routes caravanières et notamment celle du sucre. Classé monument historique marocain depuis 1932, le site est un lieu de mémoire douloureuse, rappelant aux habitants la nuit tragique du 29 février 1960. Soixante ans après ce terrible tremblement de terre, le gouvernement décide de redonner vie à ce site emblématique de l'histoire marocaine, conformément aux protocoles internationaux post-catastrophe, avant de le rouvrir au tourisme et au souvenir. Le projet se partage en plusieurs zones : celui d'abord de la forteresse et son ancienne médina, réhabilitées pour donner à lire le monument après des fouilles archéologiques préventives. Puis la plateforme d'accueil et la station du téléphérique, semi enterrés pour ne pas oblitérer la mémoire du site. Un feuilleté de contraintes a incité à un parti pris architectural qui enterre la construction tout en la répartissant sur une surface donnée. La hauteur de neufs mètres nécessaires au fonctionnement des machines du téléphérique a légitimé le choix d'une rampe pour accueillir l'ensemble des services dans deux bâtiments qui répartissait l’ensemble des besoins sur deux niveaux (le R-1 et le R-2). Toutes les terrasses de la plateforme d’accueil sont accessibles et permettent de profiter du paysage, à la façon d’un belvédère. Ainsi, en minorant l’emprise des bâtiments, en respectant les normes PMR d’accès et en dispersant les flux de visiteurs sur de vastes rampes de pierre, la plateforme rattrape les contraintes de hauteur du téléphérique, tout en limitant le coefficient d’occupation. L’espace est fluide, sécurisé, facile d’accès, lisible. De loin, l’impact est imperceptible. En hommage aux victimes du tremblement de terre, il avait été décidé d'éviter le tout béton et de proposer un système constructif parasismique discernable qui réactualise des systèmes constructifs vernaculaires de l'Atlas. D’une part pour réinvestir les procédés parasismiques « ancestraux » et d’autre part parce que, malheureusement, beaucoup trop de victimes avaient été impossibles à sauver sous les dalles de béton. Le système constructif en bois traité et en pierre sèche de 80 cm emprunte un mode parasismique utilisé dans le Haut Atlas (Vallée des Ait Bou Guemmez) et dans d'autres régions du monde (Népal, Pakistan, Himalaya). Le mur est dressé sur des fondations en BA (semelles périphériques) pour ensuite monter les murs progressivement à l’horizontale, assise par assise, en posant des couches alternées de maçonnerie en pierre sèche et de bois, sans aucun mortier. Le matériau en fourrure des pierres est maçonné tandis que les parois extérieure et intérieure des murs sont maintenues ensemble par des entretoises en bois. Cette disposition, qui consiste à alterner la pierre et le bois, ajoute de la souplesse pour construire certes, mais surtout en cas de séisme où il a prouvé en septembre 2023 sa capacité à reprendre les effets de cisaillement et de répondre ainsi de façon innovante aux normes de sismicité.
SYSTEMES CONSTRUCTIFS PARASISMIQUES
Pour monter les murs en pierre, l'architecte a formé des maçons déjà très expérimentés de l’Anti-Atlas. Pour le dallage des sols, une ardoise locale a été investie : six petites coopératives régionales. De la même façon, pour les intérieurs en laurier teints au chaudron montés sur du bois de palme - les références régionales par excellence - des maîtres d'œuvre locaux ont été recrutés sur compétences. Du fait du succès populaire du projet, les filières pierre et matériaux biosourcés ont été développées dans de récentes demandes publiques ou privées. Pour ce faire, il aura fallu cependant en amont, rédiger des Cahier des charges, acceptables par la puissance publique, ici donneuse d’ordre, et par les bureaux de contrôle. L’impact de ce type de projet est évidemment plus important dans une grande ville, capitale régionale comme Agadir, que dans de petits bourgs où cela avait déjà été fait auparavant (de 2012 à 2019) sans le succès de ce projet citadin.
Grâce au dispositif parasismique bois-pierre et grâce aux plafonds colorés, grâce à une matérialité plébiscitée par le grand public, l'idée de perfectionner les techniques vernaculaires pour l'architecture contemporaine, a été rendue réalisable. Proposer un développement soutenable appuyé sur les humains dans une fine connaissance des territoires, était enfin devenu possible. Le chantier recevant beaucoup de décideurs pendant la COVID où les prix du béton et de l’acier ne cessaient de grimper, fut une immense chance pour proposer de renouveler le BTP au Maroc, une occasion trop belle de construire de façon non-conventionnelle.
PERFORMANCES ENVIRONNEMENTALES
Ce qui fait performance environnementale est clairement le choix du dispositif constructif qui est certes sismique, mais aussi climatique. Les murs épais aux baies peu larges ne nécessitent aucune climatisation supplémentaire, le bâtiment est passif et l’affirme. L’utilisation de matériaux renouvelables en priorité (60 à 70% de la masse construite) avec des procédés de construction permettant d'éviter l'émission de gaz à effet de serre, est conforté par le mode d’extraction très peu consommateur d’énergie. Seul le transport (mais à moins de 100 km) pour les corps du bâtiment a obligé à une certaine dépense. Le matériau naturel n’a pas nécessité beaucoup d’énergie pour être extrait : la pierre est naturellement épannelée, elle est juste ajustée par le maçon au moment de la mise en place par un burin local . La pierre des sols pareillement est « cueillie » sans utilisation d’énergie autre qu’humaine dans une région du monde souffrant de chômage.
IMPACT SOCIAL ET DIGNITE HUMAINE (UNE AUTRE "MODERNITE")
Il est crucial aujourd'hui au Maroc de consolider les filières de travail manuel et de créer des statuts spécifiques pour les maîtres d'art. C'est moi-même qui ait pris en charge certains maçons pour éviter toute discussion avec les entreprises et m'assurer du qualitatif. Ceci permet de lutter contre le chômage dans un pays où mécaniser reviendrait à tuer la fierté de ceux qui savent faire avec leurs mains. La technologie dans certains pays peut être un leurre : on croit moderniser, en vérité on simplifie et on élimine certains métiers et certains rendus exemplaires.
Une STEP (station d’épuration des eaux en circuit fermé) a été utilisé tout en renforçant pour les eaux de pluies sur ce site de promontoire toutes les citernes traditionnelles (restaurées d’une part tandis que l’une d’entre elles, la plus proche du site, est équipée d’une pompe pour permettre la réutilisation des eaux de pluie lors du renouvellement de l’eau de la STEP).
Le téléphérique fonctionne avec de l’énergie solaire et une force motrice de la descente qui créé de l’énergie électrique dans un système récent très performant (Doppelmayr) ; des capteurs solaires ont été installés sur les ombrières des aires de stationnement du bas du site.
DONNEES CHIFFREES
Le site couvre une superficie d'environ dix hectares, dont trois pour la citadelle. La zone archéologique s'étend sur 4 272 m², tandis que la médina (c'est-à-dire la vieille ville) occupe 26 345 m². Le projet a été réalisé pour la
Société de développement touristique du Souss Massa (SDRT) avec le soutien de la Région, du ministère de l'Intérieur, du ministère de la Culture, du ministère des Affaires religieuses, du ministère du Tourisme et du ministère Al Omrane-Agadir-Logement. Il s'inscrit dans le cadre du programme de développement urbain de la ville d'Agadir 2020-2024, présidé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI.