Fabienne BULLE
Une « déclinaison » sous contrôle
Fabienne Bulle s’est installée dans l’architecture par la maison et ses valeurs domestiques, sociales, expérimentales…
Donner du sens à un projet de vie comme à un détail de construction devenant son leitmotiv. Ce sujet de prédilection ne l’a jamais quittée. Elle s’efforce de le faire perdurer, avec ici, en plein centre parisien, un studio façon « Vorarlberg », ou là, au cœur d’un petit village grec, une terrasse habitée.
Ici, avec Guy Pointard qui se plaît à « manipuler » les bois autrichiens, et là, avec des artisans qui découvrent l’audace de la modernité comme la simple notion de précision…
Sur « l’habiter », ses conforts d’usage, ses apports de lumière naturelle, ses performances thermiques, ses qualités durables… elle est intarissable.
Et c’est riche de ces expériences, des recherches qu’elles ont impulsées, qu’elle conduit l’ensemble de ses projets. Qu’il s’agisse d’un petit groupe scolaire en banlieue parisienne ou d’un palais de justice en Normandie.
De l’habiter à l’usage collectif, de l’échelle domestique à l’échelle «publique», il y a pourtant un pas à franchir. Un pas qu’elle réussit à franchir avec une belle dextérité et d’autant plus facilement que les fondements d’une architecture de convivialité, de lumières, de transparences, de perspectives contrôlées, d’effets parfois (cinétiques, miroirs…), comme d’une écriture de la rigueur et de la tendresse, s’imposent par leur permanence raisonnée.
Mais cette architecture-ci et cette écriture-là, dictées essentiellement par le plaisir d’architecture qui ne cesse d’animer l’atelier, quels que soient le maître d’ouvrage (privé ou public), le contexte géographique (en rase campagne, en périphérie urbaine ou en centre-ville), le programme (une maison, un groupe scolaire, une salle des fêtes, un Ehpad, un hôtel de police… en site vierge ou occupé), les choix de matières – toujours justifiés – (le bois, le béton, l’acier, la pierre ou la brique) trouvent également leur genèse dans une approche du travail minutieusement réglée.
Par des outils de conception parfaitement rodés. Des outils qui fixent les intentions, en révèlent le sens commun. Des outils de transmission, pour que le fil conducteur du projet ne se perde pas dans les arcanes de la conception puis de la construction. Pour que tous – collaborateurs, maître d’ouvrage, entreprises et utilisateurs –puissent l’appréhender, le comprendre, se l’approprier et in fine le porter.
Ces outils, ce sont d’abord ceux qu’elle manie elle-même dans son bureau perché et à l’abri de l’agitation de l’agence. Ce sont les croquis, sensibles et délicats, à la mine et aux crayons de couleur, les maquettes expressives de cartons et papiers de couleur à l’échelle du plan masse mais aussi du détail.
Ce sont ensuite ceux qu’elle «délègue» sans pourtant jamais en perdre le total contrôle. Ce sont les dessins (plans, coupes, façades) de l’agence, animés par l’extrême précision (ce qui y est dessiné au stade du concours est à n’en pas douter l’expression d’une réalité construite) comme la sensibilité de Pascale, de Hicham ou de Charles (…), piliers de l’atelier à qui l’on doit (entre autres) la délicatesse des rendus de concours de l’agence. Ce sont aussi les perspectives réalistes, rigoureuses dans chacun des détails. Ce sont enfin les mots choisis – les mots d’une sensibilité partagée et nourrie par l’amitié – qui écrivent le discours, l’offrent à la compréhension de tous.
Mais si l’architecture de Fabienne Bulle relève le défi de sa déclinaison – de son changement d’échelle –, elle le doit aussi aux moyens que l’architecte accepte de mettre en œuvre – pour assumer les plans d’exécution comme les suivis de chantier. Le plaisir d’architecture, c’est aussi le plaisir de construire. Rien n’est jamais laissé au hasard, à l’interprétation aléatoire d’une entreprise. Chaque détail est vérifié, validé sur place. Expliqué, défendu aussi auprès du maître d’ouvrage si nécessaire. Pour aboutir, le temps ne compte pas.
Entre une maison individuelle de 100 m2 et un hôtel de police de 14 000 m2, il n’y aurait finalement pour l’atelier qu’une différence de temps à accorder !
L’enseignement à l’Ecole Spéciale d’Architecture de Paris : l’apprentissage est un processus de maturation.
« L’architecte n’est pas seul mais est entièrement responsable. L’architecte se trouve dans une séparation des compétences contractuellement et dans la responsabilité de l’articulation de ces disciplines. Par cette dissociation des fonctions l’architecte réduit son architecture à un geste, créatif, sublime et irresponsable, laissant aux ingénieurs et aux constructeurs le soin subalterne de construire. L’acte de construire actuellement subit des dérives importantes dans la division entre la conception et la fabrication du projet ».
« L’organisation de tous les territoires, de tous les espaces de vie individuels ou collectifs représente un enjeu essentiel. Notre environnement se transforme de façon radicale. Le changement produit une autre relation à ce qui reste de la nature, de notre milieu de vie. Au lieu d’une croissance sans fin, il vaudrait mieux penser une croissance durable, pour que l’explosion de nos villes puisse se transformer là où il soit possible de vivre ».
« Les thématiques liées à l’expérimentation et à l’innovation pour une génération durable sont celles que je revendique comme la spécificité de l’ESA. L’expérimentation comme un outil de réflexion théorique et l’innovation comme l’aboutissement pratique du projet d’architecture. Il faudra qu’elles dépassent le seul lieu de leur application et qu’elles reflètent cette orientation ».
« Convier des regards visionnaires sur l’état de la planète et donner des directions dans lesquelles s’engagerait notre société contemporaine et ouvrir une pensée vers des perspectives durables est l’orientation que je donne auprès de mes étudiants ».
« Enjeux et thématiques se développent autour d’une compréhension entre une conscience collective humaine, l’instinct de survie de l’humanité et un horizon de catastrophes naturels. L’humanité doit réinventer son devenir urbain et naturel ».
«Ces questionnements sont stimulés ailleurs que dans leur contexte d’origine. Le moment où nous partons construire dans d’autres pays, immédiatement, (exemple Haïti, Mancora…) c’est un vrai bouleversement». «Ainsi les étudiants, d’une rencontre avec un pays aux regards sur le monde différents prennent conscience de l’autre et se concentrent sur la compréhension des milieux. Alors, les problèmes se « délocalisent » et l'humain prend la place qu'il mérite dans une réflexion architecturale renouvelée. »
«C’est une action revendicatrice d'une pratique que j'appellerais « expérimentale » non seulement orientée vers des pays aux causes multiples naturelles (cyclones, tremblements de terre...) mais également aux territoires en devenir ».
« Expérimentez la matière et la révéler, questionnez la nature et la transformer».
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Liste des projets
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